La vie à bord de La Favorite

On dispose de beaucoup moins d’informations sur les navires de commerce que sur ceux de la marine de guerre. Il en va de même pour la vie à bord. Il est très difficile de trouver des descriptions du quotidien sur une frégate de commerce comme La Favorite dans les archives.
Mais il suffit de lire le journal laissé par le capitaine de Sanguinet pour se rendre compte que la vie à bord d’une frégate de la Compagnie des Indes n’a rien d’une croisière. Pour l’équipage elle est réglée par les quarts qui ponctuent les temps de travail et de repos.
Le journal de bord nous montre également la présence importante de cas de maladie et, surtout, le nombre effroyable de morts durant l’ensemble du voyage. Sur 507 captifs au départ de Gorée, 51 meurent avant la vente à Saint-Domingue, soit 10%. Quant à l’équipage, la longueur du voyage et l’incapacité de la médecine à prévenir et à guérir les maladies portent ce taux à plus de 12%. Ces chiffres restent cependant modestes en comparaison avec de nombreux autres navires négriers.

Peu de temps libre

Travail

A taille équivalente, le navire de commerce dispose d’un équipage 3 fois moins nombreux qu’un navire de guerre. Cela implique évidemment un travail plus lourd et pénible pour chacun.
Comme sur tout vaisseau, les journées sont soumises aux alternances des quarts. Leur durée n’est pas toujours la même suivant le pays d’origine ou du type de navigation. Dans l’exemple qui nous intéresse, les indications des heures d’observations, de changements de cap etc.… laissent supposer que le changement d’équipage avait lieu toutes les 4 heures. Les tribordais et les bâbordais se relaient « à tour de rôle » c’est à dire suivant leur inscription dans le rôle d’équipage. Pendant que la bordée de quart est mobilisée pour toute manœuvre et réglage des voiles, les autres répartissent leur temps entre loisirs, repos et entretien du navire. En effet, les cordages ont fréquemment besoin d’être goudronnés pour les protéger des intempéries, les voiles d’être ravaudées, le pont lui-même demande à être briqué tous les matins. La « brique à pont » est une pierre de grès très fin utilisée dans la marine pour frotter le pont. D’où l’expression « briquer le pont ».

Repas

La nourriture de l’équipage est composée de biscuits de mer, de salaisons (de bœuf ou de porc), de poisson séché (morue)… Les officiers ont leur propre nourriture, plus riche et mieux équilibrée. On trouve à bord des poules pour leurs œufs mais d’autres volailles également ainsi que des moutons ou des porcs dont la viande fraîche sont destinées exclusivement à l’état-major. Une réserve d’eau douce au pied du grand mât (le charnier) est à disposition de l’équipage qui peut s’y abreuver sans contrainte.

Repas à bord
Repas de l’équipage sur le pont

Le règlement prévoit aussi la distribution quotidienne d’une certaine quantité de vin et d’alcool à laquelle chacun a droit. On peut trouver dans l’alimentation des matelots un peu de viande et de légumes frais après les escales mais ces « rafraîchissements » ne durent pas bien longtemps en mer. Chaque membre d’équipage a sa propre écuelle ainsi que sa cuillère en bois. Le couteau fait partie de ce qu’un marin porte toujours sur lui et son usage n’est pas réservé au repas. Il mange sur le pont ou le gaillard d’avant alors que les officiers disposent d’assiettes et de couverts et se retrouvent dans le carré pour leur repas.

Repos

Le repos, rythmé par l’alternance des quarts, est pris par l’équipage dans des hamacs, appelés « branles », partagés entre les bordées dans l’entrepont. Chaque tribordais a donc son homologue chez les bâbordais qui dispose du même couchage. C’est son « matelot ». L’entrepont n’a une hauteur sous plafond que de l’ordre de 5 pieds (1,65 m) et chacun ne dispose que de très peu d’espace pour dormir et mettre son coffre. C’est donc un sommeil dans un confort tout à fait relatif, En cas d’exercice ou de préparation au combat, les branles sont pliés et assemblés en protection autour du navire. C’est le « branle-bas ».

Le reste du temps

Distractions

Les loisirs sont relativement limités sur un navire de cette époque. On rencontre quelques jeux tels que les dominos ou les osselets. Généralement seuls les officiers savent lire et écrire. La musique, les chants et la danse permettent donc aux matelots de garder un contact avec leur culture, leurs villages et maintiennent une certaine cohésion dans les équipes. Le temps libre est parfois l’occasion de création d’objets en bois, sculptés au couteau. Le marin a droit à une ration de tabac, généralement chiqué.

Hygiène

L’hygiène, déjà très sommaire au 18e siècle, l’est encore plus sur un navire, a fortiori sur un négrier. Pour l’équipage l’eau douce est presque exclusivement réservée à la boisson, Elle est généralement mélangée à de l’eau de mer pour le lavage des corps ou des vêtements. Les toilettes se bornent à un siège percé au-dessus de l’eau, sans intimité, à proximité du mât de beaupré pour l’équipage, les poulaines. Les officiers, eux, ont droit d’usage de l’eau douce pour se laver et à des « bouteilles » à l’arrière, sorte de cabinets d’aisance, sur un bord du navire pour le capitaine et sur l’autre pour le reste de l’état-major.

Nb personnes à bord
Une promiscuité indescriptible

Santé

En 1743, on pense encore que les maladies sont véhiculées par les odeurs et ce sont elles qu’il importe de combattre et non leurs causes. Il faut donc purifier l’air par l’aération des cales et entreponts mais aussi avec des parfums ou du vinaigre. On comprend facilement que les conditions sanitaires sont particulièrement désastreuses sur La Favorite au cours de la traversée transatlantique entre le Sénégal et Saint-Domingue avec 507 captifs au départ !
Les cas les plus fréquents de maladie dans la marine de cette époque sont le scorbut qui apparait au bout de quelques semaines par carence de vitamine C, le typhus transmis par le pou, le choléra en lien avec l’eau sale et le manque d’hygiène, la peste dont la puce du rat peut être le vecteur, les dysenteries bacillaire et amibienne amenées par l’eau, la fièvre jaune qui peut avoir été attrapée par piqûre de moustique tout comme le paludisme.
Il n’est donc pas difficile d’imaginer comment les immondices de cette surpopulation encore plus concentrée chez les négriers peuvent favoriser les maladies les plus graves soit directement par développements microbiens soit indirectement en favorisant la prolifération des parasites.
La syphilis représente un autre fléau rencontré à bord des navires ayant fait escale dans un port. Si son mode de transmission est connu, il est pourtant extrêmement difficile d’en limiter la contagion en raisonnant l’équipage avant les descentes à terre.
Les accidents ne sont pas rares à bord d’un navire comme La Favorite. Les conditions de navigation difficiles provoquent des chutes depuis les vergues, les canons mal arrimés écrasent plus ou moins gravement les matelots à proximité. Il arrive également qu’un homme tombe à la mer. La plupart ne savent pas nager et les manœuvres de virement sont si longues et hasardeuses qu’il est souvent difficile voire impossible de le récupérer.
On ne peut pas évoquer les aspects de santé à propos de ce voyage de La Favorite sans insister sur le nombre de morts. Il faut noter que la mortalité parmi les captifs (10%) n’a rien d’exceptionnel et qu’elle peut même être considérée comme relativement faible par rapport à d’autres navires. L’équipage, lui aussi, paie un lourd tribut et le graphique montre comment la mortalité a augmenté sur le chemin du retour.

Morts équipage et noirs
Pourcentage de morts
Construction

Construction

Mâture et gréement

Picto équipage

Équipage


Pour aller plus loin


Pour aller encore plus loin :

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