L’équipage de La Favorite

Si nous ne possédons pas de document direct et précis sur la description de la frégate, nous en connaissons beaucoup mieux l’équipage. Outre les noms et prénoms de ceux qui le compose, nous en avons l’âge et même la couleur de chevelure. Nous avons également l’information de la provenance géographique de chacun et le montant de leur solde (salaire).

Un équipage très hiérarchisé

Composition de l’équipage au départ de Lorient

7 officiers majors (voir la liste en préambule du journal de bord) :

  • 1 capitaine [150 £]. Il supervise l’ensemble de ce qui se passe sur le navire et ne répond de ses décisions que devant le représentant de la Compagnie. S’il a bien reçu des ordres au départ, c’est bien lui, et lui seul, qui prend les décisions pendant la campagne, hormis s’il reçoit de nouvelles instructions du représentant de la Compagnie à l’escale;
  • 1 premier lieutenant [120 £]. C’est l’adjoint du capitaine et il prend sa place en cas d’indisponibilité ;
  • 1 deuxième lieutenant [90 £] (Débarqué au Sénégal** pour commander La Fière et la ramener en France). La Favorite dispose de deux lieutenants; sur des vaisseaux plus importants on peut en trouver trois ou quatre ;
  • 1 enseigne écrivain [60 £]. Les enseignes aident les lieutenants et accèdent à ce grade après plusieurs années. L’écrivain (= comptable, magasinier et gestionnaire) note et suit toutes les dépenses liées au fonctionnement du navire. Sur certains bateaux, il était un des rares à savoir écrire ;
  • 1 enseigne surnuméraire, officier en formation [sans appointements] 
Capitaine, Lieutenant et enseigne
Le capitaine fait réprimander un jeune enseigne par le 1er lieutenant, chargé de la discipline.
  • 1 aumônier [40 £] (mort à Saint-Domingue en mars 1744). A une époque où la religion (d’état) était omniprésente, il était du devoir de l’aumônier d’assurer la présence de l’Église sur la frégate. Le capitaine note d’ailleurs sur le journal son faible empressement à revenir à bord lors de la 1ère escale au Sénégal, ce qui entraînera la mort sans sacrement d’un matelot ;
  • 1 chirurgien major [40 £]. Il a en charge la santé de l’équipage mais, dans le cas qui nous occupe, également de celle des captifs qu’il est important de conserver en relativement bon état pour leur garder une valeur marchande. Le terme n’a rien à voir avec la fonction actuelle et peut plutôt s’approcher du rôle de l’infirmier.
Chirurgien, matelot et aumônier
Le chirurgien pratique une saignée sur un matelot mal en point.
L’aumônier apporte au malade le secours de la religion

14 officiers mariniers :

  • 1 maître [45 £]. Il s’occupe de tout ce qui est nécessaire à la bonne marche du bateau (matériel et humain) ;
  • 1 deuxième maître [40 £]. Adjoint du maître ;
  • 2 contremaîtres [37 et 36 £]. Ils assistent les 1er et 2ème maîtres ;
  • 1 bosseman [21 £] (1 autre [27 £] est resté à Lorient) : Autrefois sous-officier de marine ayant le grade intermédiaire entre ceux de contremaître et de quartier-maître. Le bosseman était particulièrement chargé du soin des câbles, des ancres, des bouées (cf Littré) ;
  • 1 premier pilote [36 £]. Le pilote est celui qui fait la navigation, c’est à dire qu’il calcule la position du navire, établit la route à tenir, pointe les dangers éventuels. Il en informe le capitaine très régulièrement. Il tient à jour son propre journal de bord ;
  • 1 deuxième pilote [28 £]. Assistant du 1er pilote ;
  • 1 troisième pilote [24 £]. Assistant du 1er pilote ;
  • 2 aides pilote [24 et 15 £]. Ils prêtent également leur concours à la navigation en remplissant des tâches plus subalternes et peuvent accéder par la suite au poste de 3ème pilote ;
1er pilote, aide pilote, élève pilotin et timonier
Le 1er pilote consulte une carte, l’aide pilote pointe le renard tandis qu’un élève pilotin relève le compas. Le timonier est à la barre

  • 1 charpentier [30 £]. Le navire étant entièrement en bois, on imagine facilement l’importance du rôle du charpentier qui surveille en permanence l’état de la coque, des mâts, vergues, etc… et fabrique à la demande les pièces nécessaires ; par ailleurs, il exécute des transformations sur le cloisonnage du navire pour transporter des captifs, cloisons qu’il faut ensuite démonter pour transporter des marchandises.
  • 1 calfat [30 £]. Il est responsable de l’étanchéité de la coque et des pompes. Il supervise donc les réparations éventuelles ainsi que l’entretien visant à éviter les voies d’eau. Son rôle est également très important ;
  • 1 voilier [33 £]. Il vérifie l’état des voiles qui sont le seul moyen de propulsion du bateau, les entretient et les répare ;
Maître voilier, maître calfat et maître charpentier
Chaque corps de métier avait un rôle important à bord

  • 1 canonnier [33 £]. Il doit garder en ordre de fonctionnement l’artillerie du bord. En cas de combat, il commande aux manœuvres et relaie les ordres du capitaine. Plus pacifiquement, les communications entre navires ou entre le navire et la terre s’effectuant souvent par pavillons et/ou un certain nombre de coups de canon, le canonnier n’était pas inoccupé, même par temps de paix.
Maître canonnier, matelot canonnier et matelot
Le maître canonnier (en haut) surveille le travail du matelot canonnier assisté d’un simple matelot

3 officiers non mariniers :

  • 1 deuxième chirurgien [24 £] et 1 troisième chirurgien [15 £]. Assistent le 1er chirurgien sans faire partie du corps des officiers ; 
  • 1 tonnelier [24 £] (mort à Saint-Domingue en février 1744). La majorité des marchandises étaient transportées dans des tonneaux, sans compter les réserves de nourriture et de boisson. Le tonnelier était en mesure d’entretenir, de réparer et de construire les tonneaux
  • 2 pilotins [21 et 17 £] dont 1 est passé comme pilote sur La Fière en septembre 1743. Il s’agit d’élèves pilotes. Ils ne font pas encore partie des officiers.  

3 domestiques :

  • 1 maître d’hôtel [15 £] (resté malade à Gorée) ;
  • 1 cuisinier [15 £] ;
  • 1 valet [15 £] (mort à Saint-Domingue en mars 1744).

35 matelots dont :

  • 1 matelot 2ème calfat [28 £] (mort au Sénégal en octobre 1743) ;
  • 2 matelots charpentiers [22 et 9 £] (dont 1 est mort au Sénégal en juin 1743) ;
  • 1 matelot tonnelier [23 £] ;
  • 1 matelot canonnier [9 £] ;
  • 1 matelot boucher [15 £] ;
  • 1 matelot boulanger [15 £] ;
  • 28 simples matelots [de 25 à 7 £ total 370 £]. Parmi ceux-ci, 15 ont fait la campagne dans sa totalité, 3 sont morts à St Domingue, 6 sont restés malades au Sénégal ou à Gorée, 3 ont déserté à St Domingue, 1 a été débarqué au Sénégal.
Boucher, boulanger et cuisinier
  • 11 mousses [5, 6 et 7 £]. Le mieux payé (il n’avait pourtant que 12 ans mais avait déjà fait une campagne sur La Baleine à Gorée et Les Mascareignes) est passé sur La Fière en septembre 1743 à destination de la France.

Outre l’équipage, 3 passagers (2 armuriers et 1 serrurier) ont été embarqués à Lorient pour le Sénégal.
1 passager clandestin, qui s’était embarqué à Lorient, est mort en mer en décembre 1743. Il n’était pas rare de trouver des passagers clandestins à cette époque dans les navires marchands. Ils ne se déclaraient qu’après avoir quitté les côtes. Le capitaine n’avait souvent pas d’autre choix que de les intégrer dans la distribution de nourriture. La plupart du temps, il les remettait aux autorités à l’arrivée à l’escale suivante. Il arrivait cependant qu’un homme soit intégré dans l’équipage en remplacement d’un matelot décédé ou ne s’étant pas présenté à l’appel (désertion).
Sur les 79 hommes à bord au départ de Lorient, 26 n’y reviennent donc pas pour des raisons différentes (9 morts, 7 malades, 3 désertions, 3 passagers pour le Sénégal, 3 mutés sur La Fière et 1 muté au Sénégal).
Par ailleurs, 18 passagers sont montés à bord au Sénégal (5 pour Gorée, 2 pour Saint-Domingue, 11 pour Lorient) et 6 ont embarqué à Gorée (2 pour le Sénégal, 4 pour Lorient). Malgré sa mission marchande, La Favorite, comme tous les navires de la Compagnie des Indes, peut transporter des passagers payants ou ayant un droit de passage. Ce droit était accordé, sous certaines conditions, au personnel servant la Compagnie.

Autres informations du rôle d’équipage

Rôle d’équipage

Au moment du départ, il est établi une liste de toutes les personnes à bord, spécifiant notamment leur fonction et leur solde. Cette même liste est ensuite reprise à l’arrivée et il est alors fait un compte de ce que la Compagnie doit régler à chacun en fonction de l’avance financière qui a été consentie au départ et du temps passé au service de la Compagnie au cours de la campagne.
Le calcul semble suivre des règles particulières. Alors que les dates de départ et d’arrivée sont considérées comme dues à la majorité de l’équipage, un jour est déduit pour ceux qui ont été débarqués comme malades ou ceux qui ont déserté.
A titre de comparaison, le salaire moyen d’un ouvrier agricole est alors de l’ordre de 1 £ par jour et la livre de pain coûte environ 1½ £. On voit donc que ce n’est pas le montant de la solde qui motivait la majorité de l’équipage. L’avance de 3 ou 5 mois accordée à l’embarquement peut avoir été une motivation suffisante.
Pour plus de détails, voir le tableau complet du rôle d’équipage.

Origine géographique de l’équipage

75% des marins du bord sont originaires de Bretagne et 20% du Sud-Ouest (secteurs de Bordeaux, de Marmande et de Toulouse). A une époque où les parlers régionaux étaient si présents, il était important d’organiser des équipes qui pouvaient se comprendre.

Âges

Le capitaine de Sanguinet est né à Saint-Servan (35) le 21 mars 1705. Il a donc 38 ans au départ de Lorient.
En ce qui concerne les âges des autres membres de l’équipage, nous disposons de ces informations à travers le rôle d’embarquement et le rôle de débarquement, pour 69 personnes (celui des officiers n’est pas mentionné). 20 % ont moins de 17 ans, 38 % ont moins de 21 ans, 58 % ont moins de 25 ans, 82 % ont moins de 30 ans. Le plus âgé (il s’agît du Maître, 56 ans) est plus vieux de 15 ans que tous les autres alors que les 2 plus jeunes (des mousses, bien entendu) ont 12 ans. La médiane (50 % de l’ensemble) est de 22 ans et la moyenne de 24 ans.

Ages équipage
Un équipage très jeune

Salaires

A l’embarquement, chaque homme touche une avance de 3 mois sur sa solde. La lecture du manuscrit du rôle de débarquement montre que celle-ci est portée à 5 mois pour ceux qui viennent du Sud-Ouest (Secteurs de Bordeaux, Toulouse et Marmande). Cet argent permet aux familles de vivre pendant le temps de la campagne. Ceux qui ont été engagés au Sénégal pour remplacer les manquants (12 personnes) ne touchent donc aucune avance.
Au retour à Lorient, il est tenu compte pour chacun du temps (mois et jours) passé sur La Favorite et des sommes touchées à l’embarquement ou sur le navire d’origine afin de calculer le montant à payer. Au total, la somme s’élève à 13 905 £ 2 sols et 11 deniers (1 livre vaut 20 sols et 1 sol vaut 12 deniers) à cumuler aux 5 038 £ déjà versées pour avance. La lecture du manuscrit du rôle de débarquement montre que le décompte du temps passé suit des règles quelquefois obscures. Le mode de calcul ne semble pas être le même pour tous !

Construction

Mâture et gréement

Vie à bord


Pour aller plus loin

Règlement de la Compagnie des Indes

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