Cartes marines
La mission de La Favorite en 1743 et 1744 l’a amenée à pratiquer successivement une navigation côtière et hauturière. L’une présentait l’avantage de savoir assez bien où l’on était mais avec une côte représentant souvent un danger alors que l’autre, loin des écueils, était soumise à l’imprécision d’une estime. Dans les deux cas, le capitaine et ses pilotes avaient besoin de documents leur permettant de localiser leur destination pour calculer leur route mais aussi de marquer les dangers pour les éviter.
Le passage de la sphère terrestre à une représentation plane induit obligatoirement des déformations plus ou moins gênantes suivant l’usage qu’on fait de la carte. Même si elle avait fait de gros progrès depuis les portulans du début du 17e siècle, la cartographie marine du début du 18e siècle était encore d’une précision toute relative.
Cartes plates
En 1743, un grand nombre des documents utilisés à bord des navires étaient encore ce qu’on appelait des « cartes plates », sans longitudes, avec équidistance des parallèles et censées donner une information sur les distances et non sur les angles. Il s’agissait plutôt de plans que de véritables cartes comme nous l’entendons aujourd’hui. Les éléments étaient tracés les uns par rapport aux autres et non dans des coordonnées absolues. Elles convenaient essentiellement pour prendre des orientations avec des échelles locales.
Cartes réduites
L’élaboration à la fin du 16e siècle par Gérard Mercator d’un système de projection adapté à la navigation a permis une représentation plus appropriée des connaissances. Celles-ci étaient cependant limitées par les moyens nécessaires à l’exploration de tous les territoires et surtout par l’incapacité à mesurer la longitude à bord (voir Techniques de navigation – Longitude). En effet, beaucoup des renseignements nécessaires à la construction des cartes marines étaient fournis par les journaux de bord et l’interprétation graphique s’appuyait donc encore sur des estimes. Ces mêmes journaux de bord expriment d’ailleurs très souvent de fortes critiques envers la précision des cartes à propos d’éléments mal positionnés ou inexistants.
Rappelons que le principe de la projection de Mercator est que la carte doit représenter les angles par rapport aux méridiens/parallèles tels qu’ils sont sur le globe. Les méridiens sont symbolisés par des droites à écarts constants alors qu’ils se rejoignent aux pôles dans la réalité. Il faut donc une dilatation des distances entre les parallèles en s’éloignant de l’équateur pour conserver la même proportion. Ceci apportait un très grand progrès pour le navigateur qui pouvait enfin donner un cap à l’homme de barre pour atteindre son but. De même, le calcul de la route suivie pouvait être reporté sans difficultés sur la carte.
Les cartes du 18e siècle appliquant cette méthode étaient dites « réduites ». Mais si le modèle en était connu depuis longtemps, elles n’ont véritablement été utilisées qu’à partir de la moitié du 18e siècle. Bellin décrit en 1755, sans jamais citer Mercator, comment il utilise son système de projection en laissant supposer qu’il l’a mis lui-même au point.
Malgré ces progrès, les cartes sont restées d’une précision limitée jusqu’à ce que les levés topographiques et hydrographiques bénéficient des perfectionnements techniques de mesure de la longitude.
Cartes de La Favorite
On sait à la lecture du journal de bord de La Favorite que le capitaine de Sanguinet disposait de cartes de Johannes Van Keulen et que le capitaine Béhourd utilisait celles de Pieter Goos.
Ces documents datent respectivement des années 1680 et 1650 et correspondent à une période florissante de la cartographie néerlandaise. Le site memoiredeshommes nous apprend que les cartes Van Keulen ont rapidement supplanté celles de Goos et que 4 générations successives de Van Keulen ont travaillé sur l’atlas le « Flambeau de la Mer ». Elles sont néanmoins terriblement schématiques en restant des cartes plates et l’on peut s’étonner qu’un tel voyage ait pu être entrepris avec des cartes aussi dépassées. Mais il faut avoir à l’esprit que les actualisations et les nouveaux documents n’étaient tirés qu’à un nombre réduit d’exemplaires et coûtaient extrêmement cher. Or les capitaines devaient s’équiper sur leurs propres fonds et les éditions les plus récentes devaient être réservées à la marine royale. Il faudra attendre presque un siècle pour qu’il soit imposé la présence à bord de cartes actualisées.
Le « Flambeau de la Mer » de Van Keulen se présentent sous la forme d’un atlas richement coloré dont quelques pages seulement concernent le voyage de La Favorite en 1743 et 1744. Elles ne sont pas toutes orientées avec le Nord vers le haut. Si les latitudes y sont indiquées par des graduations linéaires sur les bordures des cadres, les longitudes sont absentes. On pourrait croire que les lignes verticales plus ou moins régulièrement espacées représentent les méridiens. Ce ne sont en fait que les axes des roses des vents (les rhumbs) qui parsèment le document. Le navigateur avait sous les yeux le tracé approximatif des côtes dont la position était souvent douteuse et qui ne lui permettait pas de calculer un cap pour une longue distance.
Dans ces conditions, on imagine la difficulté à reporter une route parcourue ou à en prévoir une pour atteindre son objectif. À ceci il faut ajouter les erreurs quelquefois cumulées des différentes mesures (vitesse, cap, latitude…) pour concevoir l’inquiétude du pilote ou du capitaine lorsque le navire était censé se rapprocher de terre en ayant conscience d’écarts possibles de plusieurs dizaines de lieues entre la représentation cartographique et la réalité. Le résultat d’une estime de plus en plus douteuse de jour en jour augmentait encore leurs soucis. Le journal de bord exprime d’ailleurs plusieurs fois le doute du capitaine envers les informations portées sur sa carte.
Sans beaucoup de confiance dans ses cartes, le capitaine préfère naviguer en limitant les risques sur ses estimes. Lorsque sa navigation le permet comme vers la fin de mai 1743, il garde le contact avec la côte dans la journée afin de ne pas se perdre. En revanche, il s’éloigne vers le large la nuit pour éviter un échouement sur un obstacle invisible et non répertorié.
Quand il doit entreprendre une longue traversée, le capitaine conserve la vue de terre le plus longtemps possible et ne démarre ses calculs d’estime qu’à partir de cet endroit où il est censé connaître sa position avec la meilleure précision. Ainsi, il prend son point de départ pour chaque étape de son périple le 11 mai 1743, le 12 juillet 1743, le 29 août 1743, le 30 octobre 1743, le 19 novembre 1743 et enfin le 25 avril 1744 en notant la longitude qui lui servira de base à toutes ses estimes. L’étude précise des valeurs montre qu’il fait parfois des erreurs de 20′ sur cette longitude.
Les cartes ne fournissaient aucune information sur les grands courants transocéaniques qui étaient encore inconnus. Le capitaine ne pouvait donc en tenir compte dans son calcul d’estime. Compte tenu du fait que la majorité du parcours s’est faite avec les courants portants, on aurait pu s’attendre à ce que La Favorite arrive plus tôt que prévu de l’autre côté de l’Atlantique. Il n’en n’est rien et le capitaine qui pense pouvoir sonder le 29 mai 1744 au soir ne pourra le faire que 36 à 48 heures plus tard. Cet écart est lié à une mauvaise évaluation de la vitesse du navire. Deux causes sont possibles : soit un mauvais étalonnage du sablier ou un sable qui s’écoule difficilement vers la fin de mesure, soit une ligne de loch dont les nœuds sont trop rapprochés. Pierre Bouguer signale en 1753 que de nombreux pilotes modifiaient l’écart entre les nœuds pour que le résultat soit en cohérence avec le résultat qu’ils attendaient. Puisqu’ils n’avaient pas remarqué les courants qui les poussaient, ils pensaient toujours mesurer la vitesse par rapport au fond. Les erreurs dans l’appréciation du temps ou de la distance pouvaient se cumuler et il n’existait aucun moyen de corriger l’estime avant l’arrivée en vue de la terre.
Il est très possible que le capitaine et ses pilotes aient eu d’autres recueils d’assistance à la navigation en leur possession. Ces documents, les routiers, destinés à la navigation côtière décrivaient l’aspect des côtes et les mouillages possibles. Ils étaient souvent illustrés du profil du littoral dans lequel le marin pouvait éventuellement reconnaître le panorama qui se déroulait devant ses yeux. De même que les pilotes (hommes) étaient souvent spécialisés dans la navigation dans un secteur donné, les pilotes (ouvrages d’instructions nautiques) étaient publiés pour servir dans une zone spécifique. Ils existaient souvent avant même que la carte n’en ait été faite. Ces documents, très utiles pour la navigation côtière, synthétisaient les connaissances orales de ces navigateurs.
D’autres éléments de navigation
Instruments
Mesure de latitude
Point et positions
Approche des côtes
Signaux et communication
Pour aller plus loin
Les expéditions de traite sont des campagnes maritimes d’une durée très longue, où la route suivie est une préoccupation constante….
Pour aller encore plus loin :