Voyage de Gorée à Saint-Domingue

Chargée de plus de 500 Noirs captifs, La Favorite, actrice de la traite négrière, va entamer une longue et pénible traversée de Gorée vers Saint-Domingue et livrer des esclaves pour les plantations de l’île.

Le journal de bord vous est présenté ici sous une forme simplifiée et souvent reformulée afin d’en permettre la lecture à ceux qui ne sont pas familiers du langage marin. Certains mots, soulignés en tiretés permettent l’accès à un lexique. Il suffit de placer le pointeur dessus. Chaque jour est accompagné d’un commentaire qu’il suffit de déplier (signe +) ou replier (signe -) selon les besoins. La version intégrale du journal avec les extraits quotidiens du manuscrit est disponible en téléchargement au format pdf.

Les aménagements de La Favorite ont été modifiés pour transporter des captifs en remplacement de sa cargaison de départ. Après des allers-retours entre le Sénégal et Gorée, elle est maintenant chargée de plus de 500 noirs parmi il y a déjà eu 4 morts avant même l’appareillage vers Saint-Domingue.
Le capitaine Béhourd, démis de son commandement de La Fière, est passager à bord de La Favorite. Il a conservé son journal de bord et en continue la rédaction. Nous en avons également une copie et en présentons également sa version des mêmes événements. Le journal de bord allant de midi à midi, le capitaine de Sanguinet note la date du jour d’écriture. Le départ est donc noté le 19 novembre chez lui. Le capitaine Béhourd semble ne pas adopter la même règle.

Lundi 18 Novembre 1743

18/11/1743

de Sanguinet

A 2 heures après midi, j’ai fait désaffourcher et tenir sur l’ancre à jet. Ce matin, je suis arrivé à bord avec un employé et un détachement pour faire la visite habituelle.
A 10 heures, j’ai embarqué le bateau et me suis tenu prêt pour appareiller lorsque le vent se sera calmé.

Béhourd

Sur les 5 heures du soir nous avons appareillé de la rade de Gorée, ayant une cargaison de captifs de 507 têtes de captifs tant mâles que femmes.

Mardi 19 Novembre 1743

19/11/1743

de Sanguinet

3 heures du soir, j’ai appareillé et gouverné au Sud-Ouest.
L’île de Gorée au Nord-Nord-Est 5° Est à 3 lieues d’où j’ai fixé mon point de départ de latitude Nord de 14° 34′ et de 359° 40′ de longitude.

Béhourd

A midi, je m’estime être dans l’Ouest-Sud-Ouest 5° Sud de l’île de Gorée, distant de 37 lieues ⅔ depuis mon appareillage ou de Gorée.

Mercredi 20 Novembre 1743

20/11/1743

de Sanguinet

Cinglant à toutes voiles, je tiens la route Ouest.
N° 5 et 6. A 8 heures du matin, deux captifs se sont jetés à la mer et ont coulé sur le champ. Ce sont, à ce que m’ont assuré d’autres, des Peuls. Sur le moment, on m’a averti qu’ils avaient comploté une révolte et apparemment leur dessein était de nous attirer à l’avant en voulant les sauver. Mais je m’en suis méfié et n’y ai fait passer que peu de monde qui n’ont rien vu. J’ai fait chercher les chefs, leur ai fait un grand palabre devant tous les autres noirs, ensuite leur ai fait mettre deux paires de fers et bien fouetter par les autres qui ont dit que c’était bien fait. Cependant je m’en méfie et j’ai fait renforcer les sentinelles.. J’ai eu toutes les peines du monde à les rassasier d’eau.

Béhourd

Sur les 8h du matin il s’est jeté à la mer deux nègres pendant la prière du matin.

Jeudi 21 Novembre 1743

21/11/1743

de Sanguinet

J’ai gouverné toutes voiles dehors.
Ce matin de jeunes noirs m’ont dit qu’ils avaient vu hier se jeter les deux noirs à la mer et qu’il y en avait encore d’autres qui voulaient en faire autant.
N° 7 et 8. A midi, mort un nègre Bambara de 22 ans de fluxion de poitrine marqué 6 sur l’épaule droite et une négresse de 33 ans d’épilepsie marquée 3 sur l’épaule droite.

Béhourd

Dudit jour, morts : une négresse du mal caduc et jetée à la mer, âgée de 35 ans ; un nègre mort à midi de fièvre chaude.

Vendredi 22 Novembre 1743

22/11/1743

de Sanguinet

J’ai fait gouverner pour ne point voir les îles à cause des révolutions que cela fait aux noirs. Je dresse ma route à en passer à 20 lieues.
J’ai cinglé à toutes voiles.
N°9 et 10. A minuit, en faisant la ronde, trouvé un noir Peul, étranglé, âgé de 16 ans, marqué 3 à droite. A 7 heures du matin, trouvé un autre nègre, mort de phtisie et folie, Peul, âgé de 20 ans, marqué 3 à droite.

Béhourd

Du jeudi au vendredi dans la nuit il s’est trouvé un noir qui a été égorgé en l’entrepont avec les autres noirs et un autre qui s’est tué de lui-même dans l’infirmerie des nègres.

Samedi 23 Novembre 1743

23/11/1743

de Sanguinet

Cinglé à toutes voiles à l’Ouest jusqu’à 6 heures du soir où j’ai mis la route à l’Ouest-Nord-Ouest, me faisant doubler les îles.
J’ai fait faire une espèce d’entonnoir d’une voile pour donner du frais aux noirs dans l’entrepont et malgré toutes mes précautions il m’en meurt. Si on ne faisait pas si bonne garde, il s’en serait jeté plusieurs à la mer.
N° 11. A 10 du matin, en faisant monter les noirs pour manger, il en est mort un subitement, âgé de 20 ans, marqué 3 sur la droite.

Béhourd

Sur les 8 à 9 heures du matin, il est mort un nègre, ayant été quelques jours sans vouloir manger et il a été lui-même homicidé de sa mort.

Dudit jour à 4 heures, est mort un nègre et nous l’avons jeté à la mer.

Dimanche 24 Novembre 1743

24/11/1743

de Sanguinet

Cinglé avec les quatre voiles majors.
N°12. Mort d’un Bambara, subitement, 20 ans, à 1 heure après midi.

Béhourd

Petit vent. Le temps sombre et parfois pluvieux. Depuis une heure après minuit jusqu’à midi, la mer belle.

Lundi 25 Novembre 1743

25/11/1743

de Sanguinet

La mer un peu grosse. Les noirs sont maigres, malgré tous mes soins et à mon attention. Ils me demandent toujours du mil, ce qu’on ne m’a donné que fort peu. Cependant je leur en donne deux repas par semaine, de la viande, biscuits et eau de vie. Tout cela ne les empêche pas de mourir et beaucoup de maigreur que ces messieurs (de la Compagnie) m’ont obligé à prendre. Et comme ils voient qu’ils ne peuvent pas faire de révolte, ils se font mourir.
N° 13 et 14. Mort 2 nègres Wolofs l’un hier à 4 heures du soir et l’autre ce matin, marqués 3 sur la gauche. Celui d’hier, une tache blanche à l’œil gauche.

Béhourd

Du lundi sur les 6 heures du matin, nous avons trouvé un noir mort en l’entrepont qui s’est étranglé ou que l’on avait étranglé, soi-disant.

Mardi 26 Novembre 1743

26/11/1743

de Sanguinet

Toutes voiles dehors. Gouverné au NO¼O.
Pluie et grains, ce qui me cause beaucoup de maladies. Je les fais laver, parfumer presque tous les jours, les pommader le matin et, entre les deux repas, je fais donner quelques morceaux de biscuits, de l’eau, des pipes. Le tabac ne manque pas et j’en fait réduire en poudre. Ainsi il n’y a point de ma faute.
N° 15, 16, 17 et 18. De hier à aujourd’hui, il est mort quatre nègres.

Béhourd

Du lundi au mardi, morts 4 nègres, l’un par maladie et les autres s’étant laissé mourir de faim, faute de vouloir manger.

Mercredi 27 Novembre 1743

27/11/1743

de Sanguinet

Temps inconstant. Beaucoup de pluie. Voilà déjà plusieurs jours que ce temps dure.
Presque tous les noirs de Gorée étaient le rebut des autres cargaisons depuis 20 mois. Aussi en meurt-il beaucoup, même sur l’île de Gorée où ils attrapent le scorbut. Nous le voyons par nos équipages qui n’en reviennent que lorsqu’on les envoie sur la terre ferme.
N° 19 et 20. A 6 et 9 heures du matin, sont morts deux nègres Wolofs subitement, marqués de marques, de 30 et 35, un 3 sur l’épaule droite.

Béhourd

Depuis hier à aujourd’hui, il est mort trois nègres

Jeudi 28 Novembre 1743

28/11/1743

de Sanguinet

Il faut que je prenne des précautions pour faire manger les noirs. Pendant le temps de pluie, je leur fais donner surtout de la viande, biscuits et eau de vie, surtout le matin. Les négresses ne sont point malades. J’ai 40 hommes malades et 60 à travailler sur le pont, ce qui me parait suffisant.
N° 21. Mort d’un nègre Bambara ce matin à 9 heures d’un abcès à l’estomac, une tache blanche à l’œil droit, marqué 4 sur l’épaule droite, âge 20 ans.

Béhourd

Sur les 8 heures du matin, il est mort un nègre d’un abcès qui lui a crevé sur la poitrine, qu’il a rendu par la bouche et par les narines, ce qui l’a étouffé.

Vendredi 29 Novembre 1743

29/11/1743

de Sanguinet

Je fais gratter et parfumer les noirs tous les 2 jours. Je leur donne de l’huile de palme pour se frotter et du poivre qu’ils aiment bien pour leur manger. Je fais de tout mon mieux pour les faire réjouir.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Samedi 30 Novembre 1743

30/11/1743

de Sanguinet

Cinglant à toutes voiles, à minuit, j’ai mis les bonnettes pour profiter du temps. J’ai fait faire deux voiles et clés de perroquets.
N° 22. A 6 heures du matin, faisant la ronde à l’infirmerie, on a trouvé un nègre Guyolof de mort d’une obstruction de foie, âgé de 35 ans, marqué 6 sur la droite.

Béhourd

Dudit jour du vendredi au samedi dans la nuit, il est mort un nègre par maladie, fièvre continue et obstruction au foie.

Dimanche 1er Décembre 1743

01/12/1743

de Sanguinet

Les nègres se trouvent un peu mieux depuis que le vent a fraîchi. Cependant j’ai beaucoup de malades et aussi de blancs. Depuis mon départ j’ai toujours fait (illisible) l’eau et quelques petits ouvrages pour les occuper.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Lundi 2 Décembre 1743

02/12/1743

de Sanguinet

Le temps assez beau. Cinglant à toutes voiles. Gouverné jusqu’à me mettre en latitude de 19° 30′.
N° 23 et 24. Hier sur les 10 heures du soir, en faisant une ronde à l’infirmerie, on trouva un nègre Guyolof mort de maladie flux de sang, âgé de 18 à 20 ans. Ce matin à 11 heures, après avoir fait manger les noirs, est mort subitement un nègre Bambara, âgé de (laissé blanc) ans sans avoir paru malade.

Béhourd

Du dimanche au lundi, il est mort deux nègres, l’un exténué et l’autre subitement

Mardi 3 Décembre 1743

03/12/1743

de Sanguinet

A 5 heures et ½, j’ai aperçu un vaisseau derrière moi 5 lieues.
A midi, il m’a gagné 1 lieue ½. Je ne sais qui il peut être. Je crois cependant que c’est le vaisseau l’Aurore, capitaine monsieur Tuon, qui part du Sénégal pour St Louis avec 150 noirs.
Je fis mettre hier un de mes quartiers-maîtres noirs sous le gaillard pour en avoir soin pendant sa maladie comme d’un homme fort utile. Je fais raser tous les noirs, les tenir propres pour en faire autant à mon arrivée.

Béhourd

Aujourd’hui à la pointe du jour, nous avons vu un bâtiment dans l’Est de nous, sans pouvoir le connaître de la journée. Ce n’est qu’à la nuit que nous l’avons reconnu avec certitude comme une galiote
Mardi, nous avons vu un navire et reconnu comme Anglais. Mercredi sur les 4 à 5 heures du matin, le bâtiment anglais que nous avions vu hier au matin a mis son canot à la mer, un officier est venu à notre bord et nous a dit qu’il y avait 45 jours qu’il était sorti de Falmouth et qu’il était armé en guerre et avait 22 pièces de canons, tant pierriers que d’autres, ce dont je doute, et de 120 hommes d’équipage.
Et étant à l’abordage, il nous a dit qu’il était 37° plus Ouest que le cap Lizard et nous nous estimions être à 31°, ce qui nous donnerait une grosse différence.

Mercredi 4 décembre 1743

04/12/1743

de Sanguinet

Sur l’après midi, ce vaisseau est dans mon sillage à 1 lieue ½. Je le fais observer et ce matin à 3 heures il est à demi lieue. J’ai cargué mes basses voiles, étant bien préparé. Je lui ai demandé d’où il était. Il m’a répondu de Londres, allant à la Barbade, et moi de la Compagnie de France allant à Léogane. Il m’a prié de mettre en travers, qu’il allait envoyer son canot à bord, ce que j’ai fait. J’ai appris de l’officier qu’il se nommait la Comtesse Baume, armé à Falmouth, parti il y a 47 jours, armé de 22 pièces de canons et 120 hommes d’équipage. Il est mâté d’un mât et d’un artimon mais bien allongé. Il m’a dit avoir fait rencontre d’un vaisseau français de la Rochelle allant à Léogane. Il m’a fait la même demande. Je lui dis avoir 36 canons et 140 d’équipage. Il m’a demandé le nom du vaisseau et son port. Mon nom, je l’ai satisfait mais pour les noirs, il n’a rien pu savoir. Il s’estime par les 333° 46′ méridien cap Lizard.
N°25. Ce matin à 9 heures, il est mort un nègre Guyolof âgé de 20 ans, marqué 3 sur l’épaule droite, du flux de sang et fièvre.

Béhourd

Sur les 9 heures du matin, il est mort un nègre

Jeudi 5 Décembre 1743

05/12/1743

de Sanguinet

J’ai observé hier la variation Nord-Ouest 1° ½. J’ai tenu la route de l’Ouest ¼ Nord-Ouest. Depuis hier 2 heures, je ne vois plus le vaisseau anglais qui fait de l’Ouest ¼ Sud-Ouest.
A 11 heures ½, le bout du ton de misaine a cassé. Cependant il ne vente pas, mais ils sont trop faibles.

Béhourd

Sur les 8 heures du soir, il est mort un nègre et jeté à la mer.

Vendredi 6 décembre 1743

06/12/1743

de Sanguinet

Les noirs paraissent un peu tranquilles ayant du frais.
N° 26. Cependant, à 9 heures du soir, il en est mort un dans l’infirmerie, d’un abcès au cerveau et fièvre. C’est un Guyolof. Ils sont les plus mauvais pour se détruire.
Vu des paille-en-cul et dorades et poissons volants sans en pouvoir prendre.

Béhourd

Nous avons vu des oiseaux nommés paille-en-queue, ce sont des oiseaux tout blancs et des (fous?) gris et blancs.

Samedi 7 Décembre 1743

07/12/1743

de Sanguinet

Vu plusieurs oiseaux. Il a passé un gros morceau de bois, comme un pied d’arbre.
Les négresses m’avertirent que les grands noirs leur avaient dit que nous serions bientôt arrivés et qu’on les livrerait à des génies qui leur couperaient le cou. Je les ai rassurées là-dessus comme j’ai pu.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Dimanche 8 Décembre 1743

08/12/1743

de Sanguinet

Gouverné à l’Ouest ¼ Nord-Ouest jusqu’à midi où j’ai mis la route à l’Ouest, les élans vers le Nord.
Vu passer beaucoup de goémon, quelques paille-en-cul.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Lundi 9 Décembre 1743

09/12/1743

de Sanguinet

N° 27. Hier, sur les 5 heures du soir, il nous mourut un nègre Bambara, de phtisie et flux de sang, âgé de 26 ans, marqué 3 sur l’épaule droite. Je suis fort embarrassé, n’ayant plus de pipes à donner aux noirs. On m’en a donné si peu qu’elles sont toutes cassées.

Béhourd

Hier dimanche, il est mort un noir.

Mardi 10 Décembre 1743

10/12/1743

de Sanguinet

Je vois toujours du goémon et poissons.
Je fais faire une baille pour faire suer les noirs scorbutiques.

Béhourd

Du mardi à 10 heures du soir, mort un noir et jeté à la mer.

Mercredi 11 Décembre 1743

11/12/1743

de Sanguinet

N° 28. Hier, sur les 5 heures du soir, il mourut un nègre Guyolof, du scorbut, âgé de 26 ans. Je fais laver les nègres avec de l’eau douce et du vinaigre.

Béhourd

Mort un noir.

Jeudi 12 Décembre 1743

12/12/1743

de Sanguinet

N° 29. Ce matin 9 heures, il est mort un nègre Guyolof d’une obstruction de foie. Je crois que la plupart de Gorée étaient empoisonnés dès leur départ. Je ne sais plus que faire.

Béhourd

Du jeudi sur les 8 heures du matin, il est mort un noir.

Vendredi 13 Décembre 1743

13/12/1743

de Sanguinet

Temps à grenasse et pluie grasse, signe de l’approche des îles. J’ai vu beaucoup d’oiseaux. A 10 heures ½ j’ai eu connaissance d’un bâtiment devant moi qui faisait la route inverse. J’ai continué ma route une demi-heure comme je comptais lui parler pour savoir s’il débouquait des îles d’Antigua ou d’autres, pour m’assurer de mon point. Ledit vaisseau a viré de bord. N’en étant qu’à une lieue, j’ai fait de même en mettant mon pavillon et tiré un coup de canon, mais j’ai vu qu’il s’écartait.
Hier sur les 5 heures du soir, mourut le nommé Jean Bruneau, de Concarneau, qui s’était trouvé à bord au départ de Lorient, caché dans le vaisseau.

Béhourd

Mort du jeudi : Il a décédé le nommé Joseph Bruneau, de Concarneau, âgé de 18 à 20 ans, qui s’est caché dans le navire et ne s’est trouvé qu’après avoir perdu la terre de vue. Mort de fièvre maligne et scorbut.
Sur les 10 heures du vendredi du matin, nous avons vu un navire sur notre avant. Nous avons cherché à lui parler mais nous n’avons pu d’autant qu’il avait une autre route que nous et qu’il nous aurait fait perdre trop de chemin.

Samedi 14 Décembre 1743

14/12/1743

de Sanguinet

Vu plusieurs sortes d’oiseaux et poissons.
Je ne sais si je serai juste (dans mon atterrage), mais il est de la prudence de se méfier. Il y a plusieurs vaisseaux qui trouvent une différence de l’Est à l’Ouest, quelquefois de 60 lieues.
N° 30. Ce matin 8 heures, est mort un nègre Bambara, du scorbut, âgé de 25 ans, marqué 3 sur la droite.

Béhourd

Sur les 10 heures du matin, mort un noir.

Dimanche 15 Décembre 1743

15/12/1743

de Sanguinet

N° 31.Ce matin 9 heures, il est mort un nègre Guyolof, du flux de sang, âgé de 20 ans, marqué 3 sur la droite.

Béhourd

Sur les 9 heures du matin, mort un noir scorbutique.
Sur les 10 heures du soir, il y a eu une négresse qui a accouché de deux filles avant le terme, dont les enfants sont noirs, après avoir été christienné par le chirurgien d’autant que l’aumônier n’a pas voulu se lever pour les baptiser.

Lundi 16 Décembre 1743

16/12/1743

de Sanguinet

Cette nuit, une négresse a accouché de deux petits blancs qui ont eu le baptême et sont morts une heure après.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Mardi 17 Décembre 1743

17/12/1743

de Sanguinet

Ce matin, j’ai pensé étouffer d’une plénitude de bile ou épanchement. Ayant pris le thé cela s’est passé.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Mercredi 18 Décembre 1743

18/12/1743

de Sanguinet

Vu du goémon en lacets (?) et de l’herbe à tortue un peu sèche.

Béhourd

Sur 5 heures ½ du soir, il est mort un noir scorbutique.

jeudi 19 Décembre 1743

19/12/1743

de Sanguinet

A midi que j’ai observé la latitude Nord 19° 27′ quoique j’aurais dû être plus Sud par la route que j’ai tenue.
Vu hier plusieurs oiseaux de différentes espèces, gros, noirs.
N° 32. A 6 heures du soir, il mourut un nègre Guyolof du Sénégal, marqué d’un 6 sur l’épaule droite, du scorbut. Il y en a beaucoup, et des blancs.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Vendredi 20 Décembre 1743

20/12/1743

de Sanguinet

J’ai continué la route de l’Ouest et Ouest ¼ Sud-Ouest pour faire un bon atterrage par le 19° 35′ à 40″ sur la pointe de Samana.
J’ai vu plusieurs oiseaux ensembles et je compte demain, ou après-demain, voir la terre de Saint-Domingue.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation.

Samedi 21 Décembre 1743

21/12/1743

de Sanguinet

A minuit j’ai mis en panne jusqu’à 6 heures du matin.
A 6 heures du matin, j’ai vu un navire au Sud-Ouest ¼ Sud, faisant route à l’Ouest ¼ Nord-Ouest, à 4 lieues.
N° 33. Mort d’un nègre Bambara, de scorbut, 24 ans, marqué 3 sur l’épaule droite.

Béhourd

Sur les 6 heures du soir, mort un noir.

Dimanche 22 Décembre 1743

22/12/1743

de Sanguinet

J’ai cinglé à toutes voiles à l’Ouest jusqu’à 8 heures du soir où j’ai mis le cap à l’Ouest-Nord-Ouest, n’ayant point vu la côte et craignant la baie de Samana.
A minuit j’ai mis en panne tribord au vent jusqu’à 4 heures.
N° 34, 35 et 36. Aujourd’hui, il est mort à 6 heures, 7 et 8 heures, un nègre Bambara, du scorbut, marqué 6 à la droite, un nègre Guyolof, scorbut, 25 ans, marqué 3 sur la droite, une négresse Guyolof, flux de sang, 30 ans, marquée de 3 sur la droite.

Béhourd

Nous avons cinglé à différentes routes jusqu’à 8 heures du soir où nous avons mis en panne tribord au vent. Ensuite nous avons reviré de bord en restant à la cape jusqu’à 6 heures.
Dudit jour à midi à aujourd’hui 10 heures, morts deux nègres et une négresse de fièvre et de creux de ventre.

Lundi 23 Décembre 1743

23/12/1743

de Sanguinet

Hier au soir à 5 heures ¼, j’ai vu la terre devant nous à 13 ou 14 lieues et une autre terre plus au Sud à 15 lieues. La première est le Cap Samana et l’autre est le Cap Raphaël.
La terre a fait plaisir aux noirs.

Béhourd

Le capitaine Béhourd ne note que des informations de navigation et clôt son livre de bord avec l’arrivée en vue des côtes par la mention :
Arrêté le 23 décembre 1743
Béhourd


Mardi 24 Décembre 1743

24/12/1743

Comme le Vieux-Cap et la Caye d’Argent sont au Sud-Est et Nord-Ouest, j’ai viré plusieurs fois avec la misaine et les huniers en me tenant toujours du côté de la grande terre.
N°39. Un mort, un nègre, à midi, scorbut, âgé de 22 ans, marqué du 3 sur la droite.

Mercredi 25 Décembre 1743

25/12/1743

Grande chaleur. Éclairs, tonnerre et pluie. La nuit fort obscure.
N° 40. Il est mort un nègre Bambara de scorbut, âgé de 18 ans, marqué 6 sur l’épaule droite.

Jeudi 26 Décembre 1743

26/12/1743

N°41. Mort un nègre Guyolof, de scorbut, 24 ans, marqué 3 sur l’épaule droite.

Vendredi 27 Décembre 1743

27/12/1743

A 8 heures du soir, j’ai vu un vaisseau devant moi, au Sud-Est, aux basses voiles, faisant la même route que moi.
A 9 heures, je lui ai parlé pour le faire s’écarter sous le vent, voyant qu’il était entêté de me couper le vent. Étant presque bord à bord, je l’ai reconnu à sa manœuvre qu’il me dit être de Nantes. Il m’a paru trop de monde et trop frais. Je lui ai dit que je lui aurais passé sur le corps. Ayant cependant été obligé à céder, j’ai continué ma route et à 10 heures, je ne le vois plus derrière.

Samedi 28 Décembre 1743

28/12/1743

Hier, sur les 2 heures, j’ai eu connaissance de petit îlots nommés Arcadins, très plats. De jour on les voit à 3 lieues ½. Il y a bon mouillage, ils sont bien boisés. En n’en passant qu’au Nord, c’est à dire au plus large.
A 4 heures, j’ai vu les vaisseaux de la rade (de Léogane).
N° 44. Mort un Bambara, scorbut, 22 ans, marqué 3 sur la droite.
N° 45. Mort un Guyolof, 1ère phalange au pied gauche, scorbut, 25 ans, marqué d’un 4 à la gauche.
N° 46. Mort un Guyolof, de scorbut, 24 ans, marqué 6 sur la droite.
Aujourd’hui, il est mort 3 nègres juste le jour de la visite de l’amirauté et médecin.

Dimanche 29 Décembre 1743

29/12/1743

J’ai gouverné en direction des vaisseaux au nombre de 5 et de petits bateaux. A 2 heures ¾, j’ai mouillé par les 28 brasses d’eau. Les vaisseaux qui sont en rade : 2 vaisseaux de Nantes, 2 de Dunkerque et de la Rochelle. Les vaisseaux qui viennent du large ne doivent approcher du fort que d’1/3 de lieue.
N° 47. Mort un nègre Mandingue, scorbut, âgé de 25 ans, marqué d’un 3 sur la droite.
Sur le soir est arrivé du Petit-Goâve un brigantin. J’ai salué la forteresse qui ne me le rend point.
A 4 heures, les messieurs de l’amirauté sont venus à bord ainsi que messieurs Ghée et Michel qui ont trouvé la cargaison en assez bon état. J’ai fait retirer leurs fers à tous les noirs et lorsqu’ils (les représentants de l’amirauté et les armateurs) sont partis, je les ai fait saluer.
J’ai appris d’un capitaine Dunkerquois que le vaisseau que j’ai trouvé à 10 heures du soir sous le Cap aux Foux, était une espèce de forban anglais qui lui avait enlevé presque tout son équipage et lui avait remis 7 français très mal du scorbut.
A 9 heures du matin, je suis descendu à terre où j’ai appris de ces messieurs qu’il convenait pour leur intérêt et ceux de la Compagnie que j’aille au Cul-de-Sac.
Vu 2 vaisseaux, l’un venant du Cul-de-Sac et l’autre de l’Arcahaie.

Lundi 30 Décembre 1743

30/12/1743

Sur les 3 heures du soir, un des vaisseaux du jour précédent a mouillé en rade. C’est le Père des Pauvres, de Nantes, capitaine Fougard,
Et à 4 du matin, j’ai appareillé par brise de terre. j’ai gouverné en arrondissant comme la terre, toujours après avoir contourné la pointe de Léogane.
A 11 heures, étant à mi-canal, j’ai eu du vent et j’ai gouverné pour prendre connaissance des îles de la Madelaine qui sont devant nous à 4 lieues. Elles sont 12 et de 1 lieue ⅔ de longueur. On peut les approcher à une portée de boucanier, surtout celle du Sud, écartée des autres de ⅔ de lieue et la plus proche de terre.

Mardi 31 Décembre 1743

Fin Voyage 5

Dans le Nord desdites îles, il y a un beau passage, en observant de ne les pas longer à moins d’1/3 de lieue -il y a un petit banc de sable où il y a quelque caye au large de la plus Nord- et ne point approcher la pointe de terre de monsieur Ricord qui s’avance une encablure.
A 6 heures ½, j’ai mouillé par 7 brasses, fond de vase. Je n’ai trouvé que 2 vaisseaux : un de Nantes, la Renommée, capitaine Feyet et un de la Rochelle, le Saphir, capitaine Billoteau.

Mercredi 1er Janvier 1744

Fin Voyage 5

Le correspondant de la Compagnie des Indes est venu à bord sur les 7 heures du matin. Il m’a dit qu’il allait donner ordre pour avoir des rafraîchissements pour les noirs et les blancs, et chercher un magasin pour mettre les malades blancs.
A 8 heures du matin, je suis descendu à terre pour aller voir le commandant M du Vivier et ensuite M Baugé-Robinière qui doit recevoir ladite cargaison. M Ghée s’était rendu par voie de terre depuis Léogane, et nous sommes convenus que demain la régulation serait faite et ils en ont averti les arbitres.
N° 49 et 50. Aujourd’hui, il est mort une négresse Guyolof, âgée de 24 ans, marquée 3 sur la droite et un nègre Bambara de 18 ans marqué d’un 6 sur la droite, du scorbut.

Jeudi 2 Janvier 1744

Fin Voyage 5

Aujourd’hui à 6 heures du matin, je suis venu à bord. J’y ai trouvé monsieur Baugé-Robinière. Une heure après est arrivé M. Mariany et les arbitres pour faire la régulation.
N°51. Ce matin, est morte une négresse Guyolof âgée de 25 ans, marquée 3 sur la droite, de scorbut.
Sur les 9 heures on a commencé à travailler en commençant par les hommes et puis les infirmes, les femmes, les négrillons et les négrittes. Ils ont pris 4 négrillons pour des hommes et 3 négrittes pour femmes. Je n’en suis pas fâché puisque c’est l’avantage de la Compagnie.

Samedi 4 Janvier 1744

Fin Voyage 5

Les messieurs ont commencé aujourd’hui la vente des noirs à bord. Et jusqu’à midi ils en ont vendu 250 à 1200 £ les hommes, et 1100 £ les femmes, les négrillons et négrittes 8 à 900 £ pièce. De ces derniers, il n’y en avait pas assez et trop de grands noirs. Il ne m’a été possible de faire à Gorée un bon assortiment, où ils ont gardé toute la jeunesse pour eux. Sur le soir, ils les ont fait descendre dans un magasin, je leur ai fourni 3 barriques de fèves, gamelles et chaudière et un homme pour en avoir soin.

Janvier 1744 (du 7 au 15)

Fin Voyage 5

Le 7 est arrivé du Port-au-Prince 2 vaisseaux : Le Victorieux, capitaine May, le Lisabeth, capitaine Audebert. Un 3ème, le Philippe, capitaine Aubussan.
Le 8, arrivé du même endroit, les Deux-Frères-et-la-Sœur, de Bordeaux, capitaine Laville.
Le 10, un grand bateau, de Léogane, pour charger des sirops.
Le 15, arrivé un bateau, de la Caye Saint-Louis pour la même chose.


Voyage_5
Arrivée sur Saint-Domingue

Cette carte montre la côte telle qu’elle était connue à l’époque (en noir) comparée à la réalité (en couleur).

Le capitaine de Sanguinet s’attendait à voir la côte de Saint-Domingue beaucoup plus tôt. D’une part il semble que ses pilotes aient surévalué la vitesse de la frégate, d’autre part la position des îles étaient vraisemblablement erronée.

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